Quelques lettres de Boudon de Saint-Amans à Bory
Quelques lettres de Jean-Florimond BOUDON DE SAINT-AMANS à BORY DE SAINT-VINCENT,
reproduites initialement par Ph. LAUZUN (1912) dans les comptes-rendus de l’Académie d’Agen.
Lettre 17970205-ST-AMANS-BORY.
Au citoyen Bory de Saint-Vincent, rue du petit Cancera, n° 8, à Bordeaux.
A Agen. le 17 pluviôse, l'an 5 ( 5 février 1797.)
Je suis, Monsieur, infiniment sensible à toutes vos honnêtetés, et la correspondance que vous m'offrez je l'accepte avec plaisir et reconnaissance. Le nouveau rapport qui s'établit entre nous m'est d'autant plus agréable, qu'il me rapproche d'un compatriote dont la famille nous est chère et dont le souvenir est encore au milieu de nous. Il est d'ailleurs utile pour les progrès de l'histoire naturelle que ceux qui cultivent cette science se connaissent, se consultent mutuellement : sous ce point de vue, je recevrai .avec beaucoup d'intérêt le catalogue de votre cryptogamie, et vous enverrai celui des plantes de cette classe que vous pourriez ne point posséder, et que j'aurais en nia disposition. Vous avez, au reste, le bonheur d'être à même de consulter Dillen comme je n'ai pas le même avantage, il se peut que j'aurai recours à vous dans quelques occasions, je vous en préviens d'avance. De mon côté j'ai à votre service un assez bel herbier, et quelques livres, que je consulterai pour vous avec autant de zèle que pour moi-même. Je vous ferai aussi passer les doubles des échantillons curieux ou rares que je pourrai me procurer dans mes courses, ou qui pourraient me parvenir d'ailleurs; enfin je vous offre de partager avec vous le peu que je possède de moyens et de ressources en histoire naturelle.
J'ai vu avec grand plaisir, clans le prospectus du journal publié par votre société, que vous aviez observé les vers infusoires dans lesquels vous aviez découvert quelques nouvelles espèces. Continuez, Monsieur, cette carrière dans laquelle on peut encore aller si loin, et que peu de personnes sont à même de parcourir.
Veuillez me renouveler dans le souvenir de M. Latapie dont l'ancienne amitié m'est extrêmement chère. Je lui écrivis hier en lui envoyant quelques plants de vignes, mais le batelier qui devait se charger de cet envoi n'a point encore paru et ma lettre n'est point partie.
Agréez, Monsieur, les assurances du parfait attachement avec lequel je suis votre dévoué compatriote.
Saint-Amans. »
Lettre 17970426-ST-AMANS-BORY.
« A Monsieur Bory de Saint-Vincent (à la Teste de Buch), Département de la Gironde ».
A Agen, le 7 floréal, l'an 5 (26 avril 1797).
Je reçois dans l'instant, Monsieur, les marques de votre souvenir. Mon premier soin est de vous témoigner toute ma reconnaissance. voyage de la Teste qui se présente à moi sous la perspective la plus agréable, je n'ai qu'un regret, c'est que vous soyez parti trop tôt pour que je puisse me flatter de m'y rencontrer avec vous, je le crois du moins ; mon départ d'Agen ne peut s'effectuer que le 2l floréal. A cette époque, vous serez sans cloute de retour à Bordeaux, et je perds la plus grande satisfaction que je me proposais, de goûter, clans ce petit voyage, celle de vous voir et de vous embrasser sur le théâtre de vos travaux. Daignez au moins me laisser vos traces à suivre et les moyens de les suivre. Veuillez me donner quelques renseignements sur la manière de parcourir avec quelque profit ce pays à demi barbare et me recommander en partant à vos amis, comme quelqu'un qui ne leur sera point à charge et qui leur demandera seulement le moyen de voir le pays qu'ils habitent d'une manière sûre, c'est-à-dire des guides honnêtes, etc.
Nous partirons, comme je viens de vous le dire, le 20 floréal, 5 ou 6 jours, moins peut-être, suffiront, je pense, pour nous rendre à la Teste. Vous pourriez m'y laisser votre lettre de recommandation. Si je vous y trouvais encore, quelle satisfaction n'éprouverai-je point ?
Recevez l'assurance des sentiments que vous m'avez inspirés.
saint-Amans. »
Lettre 17970508-ST-AMANS-BORY.
« Au citoyen Bory de Saint-Vincenl, naturaliste, rue du Petit Cancera, n° 8, Bordeaux. ».
Agen, le 19 floréal, l'an 5 (8 mai 1797).
monsieur,
La pluie tombait depuis vingt-quatre heures sans interruption, le baromètre baissait à vue d’oeil, et je délibérais sérieusement sur mon départ, lorsque votre lettre m'est parvenue ; me voilà fixé, je reste, et j'accepte avec joie le nouveau rendez-vous pour les fêtes de la Pente-côte.
Indépendamment de toute autre raison, j'aurais trop de plaisir de me réunir à vous pour ne pas me décider à renvoyer mon voyage, et je le croirais presque perdu s'il ne me procurait le plaisir de vous voir. Il devient môme une occasion précieuse pour moi de vous témoigner tous mes remerciements des honnêtetés que vous m'avez faites, et j'aurais bien du regret de la laisser échapper ; j'engagerai donc mes compagnons d'attendre avec moi l'époque que vous croyez la plus favorable sous tous les rapports. Nous tacherons de nous arranger de manière à être rendus sur le terrain la veille ou l'avant-veille des fêtes. Je ne vois pas que je puisse porter beaucoup de livres, vu la distance où je me trouve de la Teste ? Je compte sur vous à cet égard ; vous m'avez trop bien appris par votre honnêteté et par votre complaisance qu'on n'y compte jamais en vain. Adieu, Monsieur, ne douiez pas de l'impatience que j'ai de vous embrasser
sur- une terre dont vous avez, déjà pris possession au nom des sciences.
saint-amans.
Les nouvelles que je reçois de la santé du célèbre Ramond ne sont point bonnes ; la perte de cet homme serait une calamité. Veuillez bien me rappeler dans l'amitié de M. Latapie qui a bien voulu aussi me faire recommander à la Teste par un de ses amis. Je donnerai à Lamouroux de vos nouvelles. »
Lettre 17970528-ST-AMANS-BORY.
« Au citoyen Bory de Saint-Vincent, naturaliste, rue du Petit Cancera, n° 8, à Bordeaux. »
Bazas, le 9 prairial, l’an 5 (28 mai 1797).
Me voici en route, mon cher Monsieur. Le désir de vous voir bientôt m'engage à vous prévenir que je m'approche du rendez-vous. Je prends la roule de Villandreau, St-Symphorien et le Muret, pour me rendre à La Teste où je compte arriver mercredi. La chaleur est excessive, mais j'espère qu'elle ne me privera pas du plaisir de me rencontrer avec vous sur le théâtre de vos découvertes. Je vous communiquerai à la première vue celles que j'aurai faites sur la route.
Je ne porte avec moi que le Systema vegetabilium. Deux amis avec lesquels j'ai le plaisir de voyager partagent, avec moi, l'impatience de vous connaître. Nous avons trouvé aujourd'hui deux ou trois plantes intéressantes, entre Grignols et Bazas ; c'est sur votre territoire. Nous vous ferons un hommage de ces plantes. Renouvelez-moi dans le souvenir de M. Latapie, si vous êtes à portée de le voir.
Adieu, Monsieur : si vous n'êtes point à la Teste, lorsque nous y arriverons, je me présenterai sous vos auspices au général Cravey, etc. Permettez-moi de vous embrasser.
saint-Amans. »
Lettre 17970709-ST-AMANS-BORY.
Sans adresse.
Agen, le 9 juillet 1797,
Votre silence commençait à m'alarmer sur votre compte, mou cher correspondant, je craignais que quelque incommodité ne vous eut arrêté dans le cours de vos observations et franchement c'eut été vous arrêter en beau chemin, d'après le détail que vous me donnez, de vos nouvelles conquêtes.
J’ai reçu avec tout l'intérêt et la reconnaissance, possible la carte des environs de la Teste. Je suis d'autant plus sensible a cette attention de votre part, et cette carte me sera d'autant plus précieuse, qu'elle me retracera un pays où j'ai eu le plaisir de vous connaître, que j'ai parcouru avec vous, et dans lequel j'ai reçu des honnêtetés dont le souvenir ne s'effacera jamais de ma mémoire.
Lamouroux m'a communiqué, à mon arrivée, votre mémoire sur les Conferves et les Byssus. Je l'ai lu avec très grand plaisir, avec plus de plaisir même que je ne saurais vous l'exprimer. Il prouve à quel degré vous possède, le talent de l'observation, et que vous êtes né naturaliste.
Le mouvement singulier du Conferva gelatinosa. me frappa dès le premier moment que je trouvai cette plante ; j'y reviendrai lorsque j'en aurai le temps. Je vous remercie pour ma part des lumières que vous donne/ sur cette production extraordinaire et qui me guideront dans mes futures observations.
Je vois que. vous avez fait main basse sur le genre des rayes [raies], que vous me paraissez avoir accaparées. Je suis assurément très curieux de les voir et de me les procurer, ainsi que tous les poissons que vous pourrez me faire passer, soit, empaillés, soit on liqueur. Je vous les demande seulement de la manière qui vous donnera le moins de peine et d'embarras, et à condition que vous voudrez bien m'envoyer le compte de tous les frais de transport et autre que je vous aurai occasionnés. Vous sentez que sans celle condition prise à la rigueur, il ne peut y avoir de société entre nous pour cet objet, ni de commerce ; c’est un sine qua non absolu.
Encore un mot sur les poissons : Lacepède, mon ami, et notre compatriote, écrit dans ce moment leur histoire dont l'impression est même en train et s'avance. A mon départ pour la Teste, je lui écrivis; sa réponse n'arriva point à temps et je partis; j'ai trouvé sa lettre à mon retour ; il me priait de lui donner des renseignements sur les poissons que je serais à même de voir, etc. Or, je pense que vous pouvez mieux que personne enrichir l'histoire naturelle des poissons des notes demandées par Lacepède. Il me priait de lui envoyer une note des différentes espèces qu'on pèche sur les rivages aux environs de la Teste et non seulement, les espèces littorales, mais celles qui se trouvent aussi clans la haute mer ; la description de celles que je ne croirais pas connues ; la liste de leurs noms vulgaires : une notice de leurs principales habitudes, du temps de leur frai, de la fécondité des femelles, de la bonté de leur chair et de la manière de les pécher. Vous pouvez fort bien remplir ce cadre pour les poissons que vous aurez été à portée d'observer, et rendre de grands services à la science. Je vous exhorte donc, mon cher camarade et collègue en histoire naturelle, d'envoyer à Lacepède les notes et renseignements dont il a besoin. Répondez-moi à ce sujet, je me hâterai de le prévenir sur les secours qu'il doit attendre de votre zèle et de vos Lumières. J'ai balancé pendant quelques jours si je ne partirais point pour les Pyrénées à la fin de ce mois. Un voyage que je veux aussi faire à Bordeaux pour y voir ma fille me tenait en suspens: ce que vous me dites achève de me décider. Je crois donc aller a Bordeaux vers le commencement de septembre. Alors, si vous êtes toujours dans le dessein de retourner à la Teste je pourrai bien vous y accompagner pendant quelques jours : nous verrons cela si rien ne s'oppose à ce que je suive mon inclination. Vous pouvez regarder la partie comme liée. Montpellier sera pour une autre année, n’est-ce pas ?
Je ne suis, au reste, point du tout surpris que vous ayez fait à Cazeaux de belles moissons. On voit au premier coup d'oeil que l'étang et les environs doivent être très riches. Je croyais vous en avoir dit quelque chose. Je ne lui donnai qu'un coup d'œil pour ainsi dire de regret, ayant été obligé de le quitter à cause du mauvais temps sans avoir pu parcourir des bords que sur une étendue de cent pas du côté de l'église. Je vous demande la Pedicularis palustris, l'Erica vulgaris var. vilura,, la Lobelia dortmanna, l’Isoètes lacustris et l’Ant. orotium dor. alba ;: si vous pouvez me les envoyer sans vous gêner. Je recevrai de meme avec plaisir et reconnaissance le Fucus loreus dont vous me parlez, ainsi que les oeufs et les oiseaux.
Depuis mon retour, j'ai bien examiné le prétendu Hieracinium villosum, en effet velu connue un mouton et doute fortement que ce soit lui. J'ai cette plante dans mon herbier entièrement conforme à la description de Lamarck, ce n'est point la nôtre à mon avis. D'abord pas aussi velue à beaucoup près, puis les fleurs sont solitaires au bout de la lige et des rameaux. Je n'ai pas voulu gâter mon échantillon pour voir si lions ne nous serions pas trompés sur le genre. Quand vous aurez eu la bonté de m'en envoyer d'autres je tâcherai de mieux voir ; je les attends avec impatience. La plante que vous preniez pour un Gnaphalium est bien certainement l’Athanasia maritima. Une Semeuse à feuilles grasses. simples, linaire, et quelquefois à trois pointes comtes au sommet, et qui m'embarrassait fort, est Inula erithmoides. La grande graminée des dunes est l'Arundo arenaria, mais je m'arrête; vous aurez résolu tous ces problèmes. J'ai trouvé à mon retour, outre les plantes dont je vous parle à Bazas, le Thesium linaphylleum à votre service. Un de mes amis qui vient de parcourir les côtes de l'Aunis m'envoie le catalogue des plantes qu'il rapporte de sa course. Je vous le ferai passer une autrefois. Le jardin de Toulouse a été haché par la grêle à ce que m'écrit Lapeyrouse. Adieu, mon cher monsieur, je ferai vos compliments à Lamouroux; tout à vous pour la vie.
saint- amans.
P. S. — Quand vous aurez l'occasion de voir M.Turpin ou de lui écrire, mille choses pour moi, je vous prie, sur ses honnêtetés. J'ai reçu des nouvelles de Cravey. Lacoste aura des vôtres.
Lettre 17980801-ST-AMANS-BORY.
« Au citoyen Bory de Saint-Vincent, naturaliste, rue du Petit Cancera, n° 8, à Bordeaux.. »
Agen, le 14 thermidor, l'an 6 (1er août 1798).
J'ai attendu, cher citoyen, que le jour de notre départ pour les Pyrénées ait été fixé pour vous en donner avis, et pour vous faire mes excuses pour le long retard que j'ai mis à vous donner de mes nouvelles. Il y a dans ce retard un peu de ma faute sans doute, mais le grand voyage que vous avez fait sur la côte des Landes, et l'incertitude où j'étais sur le moment, de votre retour (quels que soient mes torts que je ne cherche point à excuser m'ont cependant empêché de. vous écrire à deux reprises différentes. Lamouroux pourra vous dire que je l'ai souvent entretenu de la peine que je ressentais de vous donner ainsi lieu de penser que je pouvais me rendre vis-à-vis de vous coupable d'une impardonnable négligence. Veuillez bien tout oublier, je vous prie, et que, le voyage des Pyrénées soit entre nous l'époque d'un nouveau pacte. Je jure d'en accomplir les conditions avec la plus grande exactitude.
Lacoste, Lamouroux et moi parlons donc pour aller joindre Ramond sur les Pyrénées les 22, le 23 ou le 24 thermidor, ce qui répond, je crois, au 9, 10 et 11 août. Nous prenons la voie de la diligence. Comme nous ne pouvons retenir votre place sans savoir positivement si vous viendrez, et que (Tailleurs il vous serait peut-être difficile de vous trouver ici à l'époque fixée, je vous donne avis de notre départ afin que vous vous hâtiez de venir vous réunir à nous si la chose vous est possible. Au surplus, je ne vous dis pas tout le plaisir que j'aurai de vous voir dans ce voyage où Ramond nous conduira dans les réduits les plus secrets des Pyrénées, où il nous ouvrira tous ses trésors, où enfin j'aurai tant de satisfaction de voir le naturaliste pélagien et celui des montagnes se donner la main et s'entretenir de leurs découvertes respectives. J'espère que vous me connaissez assez pour ne pas douter de tout l'intérêt que j'aurai à vous voir dans celte circonstance et qu'il serait superflu d'insister à cet. égard. Je vous ai vu, cher citoyen, et j'aime l'histoire naturelle. En faut-il davantage pour désirer de vous revoir et de vous entendre encore. J'ajouterai que vous auriez le plaisir de trouver à Barèges les dames Ram.... [Ramond ?] et leur frère. Ce qui ajoutera sans doute un nouveau motif au voyage projeté.
Dans l'espoir où je suis que nous vous verrons, je ne vous parle point des découvertes que vous avez faites dans la belle excursion sur les bords de l'Océan. On m'a dit que vous aviez fait une main à fond. Nous causerons bientôt de tout cela, je l'espère.
Adieu, cher citoyen, nous allons vous attendre à Barèges. En attendant, recevez, je vous prie, la plus tendre embrassade et l'assurance de toute mon amitié.
saint-amans.
Ne m'oubliez pas, de grâce, auprès des MM. Rodrigues et Duthrouil et de nos autres amis de Bordeaux. J'ai envoyé à..... [ ?] un mémoire sur un point de physiologie végétale. »